Samedi 18 décembre 2010 à 13:18
Il y a eu cet accident. Celui duquel je n'ai parlé qu'à peu de personnes. Seulement les plus éloignées. Même pas à F.
De jolies retrouvailles dans le froid. On s'fait la bise et on monte dans la voiture. Twingo. Changement de cap, en ville il fera trop froid. On opte pour le centre commercial. Celui où on trouvera quand même ce que l'on cherche. On se raconte les dernières nouvelles. Parfois vieilles de cinq ans. Voire plus. Ca faisait tellement longtemps qu'on avait oublié de se retrouver. On rigole, on pleure pas, pas dans la voiture, pas au volant. Mais c'est pas toujours tout rose, nos histoires. Ils nous font tourner comme des bourriques, ces hommes qu'on se raconte. Et nous on s'attache toujours plus fort. On a beau changer de sujet, on en revient toujours à eux. La route passe sous les roues de la voiture. Cette route qu'on connait depuis tellement longtemps. Ce rond-point aussi, on le connait bien. C'est toujours le même après toutes ces années. Les mêmes voitures qui roulent trop vite, les mêmes trois voies. On s'insert tant bien que mal, après avoir laissé passer du monde. On n'est pas pressées après tout, et derrière nous, il n'y a personne. Quand on est rentrées sur le rond-point, j'ai bien vu ce quatre-quatre de qui on était peut-être rentrées un peu près. Mais pas cette autre voiture. Plus le temps passe et plus je suis prête à jurer qu'elle n'était pas là, qu'elle n'était pas sur le rond-point. Peut-être s'insérait-elle à peine, juste en même temps que nous. Mais alors on avait le temps de passer. Normalement. Mais ça ne s'est pas passé normalement. Il y avait cette voiture, celle qui n'était pas là et qui avait décidé d'aller tout droit, alors qu'on voulait continuer sur le rond point. On parlait d'eux, encore, quand on s'est senties déportée, poussées violemment. Quelques dixièmes de seconde pour réaliser qu'il y avait trop près de nous cette voiture grise. Une mégane, au moins. Une qu'on aurait pas loupé s'il avait fallu la voir. Et puis larmes et tremblements. Il a fallu la rassurer, elle qui était au volant. Elle qui a eu le choc encore plus près que moi. J'en tremble encore. Il ne s'est rien passé. On a pas vu nos vies défiler. On a eu le temps de rien. Quelques secondes encore pour échanger nos premiers mots, après les premiers regards. Savoir si ça allait. C'était le plus important au final. Et puis la panique. Jamais, jamais on avait eu un accident. Jamais on avait prévu d'en avoir un aujourd'hui, pas après toutes ces années où on ne s'était pas vues. Et puis cette dame pas tellement aimable. Et elle qui pleure. La rassurer. La rassurer. Observer la voiture. On peut toujours rouler, c'est que de la tôle. On a rien. Tout va bien. On va apprendre à rédiger un constat. Et puis voilà. On se souviendra de ce jour au moins. J'ai pris le dessus. Pris les devant. Cherché les papiers, trouvé les papiers. Sorti les stylos. On pouvait y aller. Ca n'est pas passé vite. On s'est débrouillées seule alors que cette dame a fait venir son père. Pépé qui voulait nous embrouiller. C'était pas le moment de rester choquées, il allait pas nous embrouiller. On allait prendre le dessus et pas se laisser écraser sous prétexte qu'on est plus jeunes. Beaucoup plus jeunes. Et alors? Reprendre le dessus sur nos émotions et ne pas se laisser écraser. On l'a fait. On a rempli ce qu'on avait à remplir ; dis ce qu'on avait à dire : fait entendre ce qu'on avait à faire entendre. Elle s'est excusée mille fois auprès de moi, comme si c'était sa faute que ni elle ni moi n'ayons vu cette voiture qui traversait trop vite. Puis on a continué notre route. On a fait un peu comme si de rien n'était. Laissons le passé si proche dans le passé pour un déterrer un bien plus lointain. Celui du collège, sept ans auparavant. On s'est promenées, on a bu un café, mangé des gâteaux et fait le chemin inverse. On s'est dit à bientôt et on a repris nos routes.
C'est le soir. Et les jours d'après que je me suis rendue compte. Que j'ai accusé le coup. Que la vie est fragile, que ça aurait pu être plus grave. Biensûr, avec des si, on serait mortes. Mais quand même. Avec des si, je serais morte en l'ayant vu il y a deux mois. F. Celui que je veux pour la vie. Et je ne lui ai rien dit.